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Rencontre à Matignon : utile ou inutile ?

31.03.2023
Réforme des retraites - Stéphanie Matteudi-Lecoq

L’intersyndicale était reçue hier, à Matignon par Elisabeth Borne, à 10:00.

A 10:55, l’intersyndicale et la Première Ministre avaient fait le tour de la question et quittaient la réunion.

Un dialogue de sourd s’était à nouveau fait entendre.

Maintenir un discussion assez longuement alors que l’on savait que la première ministre n’abrogerait pas son texte ou ne retirerait pas l’article 7 consacré au recul de l’âge légal à 64 ans était peine perdue.

Pourquoi se donner tant de mal pour ne pas faire un pas de côté ?

Pourquoi les recevoir sachant que les décisions du Conseil Constitutionnel n’étaient pas rendues ? Que le Gouvernement maintiendrait ses positions, que les syndicats resteraient unis sur la volonté de retrait de la réforme et que l’opinion resterait en faveur du « Les 64 ans C’est non ! »  à 58% (sondages du 5 avril)?

Ce théâtre social interroge toujours autant sur l’impossible construction d’une démocratie sociale en France, sur un État gérant plutôt que garant des relations sociales et sur une intersyndicale forte, responsable, déterminée et qui remet aux devants de la scène le syndicalisme de confrontation, seul outil à disposition en réponse à ce dialogue de sourd.

La culture sociale française est façonnée par les luttes qui jalonnent le 19e siècle, marquée par deux croyances : celle d’un progrès social issu des luttes sociales et celle du rôle prépondérant de l’Etat dans la régulation des rapports sociaux.

Malgré les avancées depuis 1884 avec la création des syndicats et l’opportunité de pouvoir négocier, 1936 et la liberté syndicale reconnue lors des accords Matignon, 1968 et la création rendue possible d’une section syndicale d’entreprise pour pouvoir négocier avec l’employeur, les salaires et conditions de travail, 1982 et les lois Auroux pour négocier annuellement et obligatoirement (NAO) des rémunérations et de l’amélioration des conditions de travail, nous ne sommes pas parvenus à construire le chemin de la démocratie sociale. Les antagonismes entre l’état, le patronat et les syndicats étaient trop nombreux, trop ancrés.

Depuis toujours, l’Etat et le patronat ont tendance à marginaliser le syndicalisme et estimer que le dialogue social doit se faire au plus près de l’activité économique, c’est à dire, en entreprise.

Plus encore, l’autorité publique, entre interventionnisme et liberté conventionnelle, parvient à se rendre indispensable en matière de création des rapports de travail. Ainsi, grâce à un procédé d’extension des conventions et accords collectifs organisé par l’Etat. Contre toute attente, les syndicats de réputation faibles, divisés et ayant un taux de syndicalisation inférieur à 10% offrent, grâce à l’Etat, un taux de couverture conventionnelle le plus élevé de l’OCDE.

Si après-guerre, l’expérience du Conseil  National de la Résistance a laissé entrevoir l’espoir d’un élan de démocratie sociale et si quelques principes sont repris dans la Constitution, la volonté de transformer les rapports sociaux en promouvant la « citoyenneté sociale » reste bien en deçà des espérances.

Si la France est secouée de façon récurrente par des mouvements sociaux, des grèves, occupations d’usines ou blocages de certains secteurs, qui, dans leur répertoire d’action témoignent des tensions et des incompréhensions entre État et partenaires sociaux, le constat est clair, dès lors qu’un nouvel élan est donné à la négociation collective, on renoue le dialogue, y compris à l’issue d’un lourd conflit.

Puisse ainsi le passé éclairer le présent et faire que sur fond de crise politique, syndicale, économique et sociale mais aussi de divergences structurelles, si chacun est conduit à radicaliser ses postures et à mettre au grand jour ses contradictions, cela ne s’éternise pas et serve de leçon pour construire à nouveau le compromis social tant espéré.

Stéphanie Matteudi-Lecocq